Autosurveillance #5
En redescendant de Notre-Dame-de-la-Garde, un tag ; comme une confirmation, une alerte : Adama = Cédric = Zineb.
J’assiste à une audience au tribunal correctionnel de Marseille de trois hommes inculpés pour escroquerie à la carte bleue. Dès le début, il est question des caméras de surveillance, les hommes se sont reconnus sur les images et cela les a conduits à avouer ce qu’ils avaient fait. J’ai déjà lu dans le livre d’Elodie Lemaire ce paradoxe : dans les affaires judiciaires, ce ne sont pas les autres qui identifient les coupables sur les images de vidéosurveillance, mais les coupables eux-mêmes qui se reconnaissent ; alors seulement la vidéo a valeur de preuve. Je crois que juridiquement, cela ne tient pas quand on est reconnu par d’autres. On peut toujours contredire une image. Je n’entends pas tout, il y a beaucoup de monde dans la salle, les sons résonnent dans la cage d’escalier carrelé comme dans une piscine. Un gros juge dort, les lèvres pincées en cul-de-poule. Les avocats évoquent les grèves des magistrats qui n’ont pas aidé dans cette affaire (visiblement il n’y avait pas d’avocat commis d’office à la comparution immédiate). Un avocat excédé et avec des cheveux très bouclés évoque ses mauvaises conditions de travail, des délais trop courts, une justice qui n’est plus une justice. Je suis surprise d’entendre des revendications de cette nature en pleine plaidoirie. L’escroquerie a eu lieu en Italie, les prévenus sont en France et je ne comprends pas tous les détails mais c’est un vrai merdier, pour faire court. En regardant la procureure et les trois juges (au centre, celle qui parle en rappelant les faits, est nommée successivement Madame le Juge et Madame la Présidente, les deux bonshommes blancs qui l’encadrent, les assesseurs, âgés et fatigués, ne pipent pas mot) j’ai la sensation manichéenne mais très nette que les riches jugent les pauvres. La République, bien visible dans son cadre tout aussi républicain, les cheveux longs au vent, se pavane juste au-dessus d’eux.
Un des prévenus explique qu’il doit encore 50 000 euros d’amende suite à une condamnation précédente et qu’une nouvelle demande d’échéancier a été refusée trois fois. C’est l’argument qu’il a choisi pour expliquer son nouveau délit. Je ne sais pas s’il a bien fait, mais peut-être que oui parce que la Présidente lève les sourcils et semble approuver, payer 50 000 euros avec un Smic, évidemment. Tous les trois sont des récidivistes. À la suspension, une femme qui doit être l’épouse d’un prévenu se félicite du choix de leur avocat, qu’ils ont trouvé bon, c’est lui qu’ils prennent « à chaque fois ». Un magistrat en robe noire fume aux côtés d’une famille désemparée, dehors, entre deux barrières, sans rien dire. Il fait mine de regarder ailleurs, le parking peut-être, où un joli pochoir « # On veut respirer » a été reproduit plusieurs fois. L’agent d’accueil me donne un tuyau : pour assister aux audiences concernant les violences lors des manifestations, il faut venir 48h après les manifestations en question, donc les samedis et les lundis. Il me dit que ça n’arrête pas, toute la journée.
M’intéressant parallèlement au contrôle du corps des femmes, pour ce projet de roman, je tombe sur un article parlant de la ménopause. La journaliste estime que c’est un concept sexiste. Elle parle aussi de la ménopause morale, celle qui consiste à fortement inciter les femmes à avoir des enfants avant 35 ans. Les Japonais n’ont pas de mot pour la ménopause, car chez les Japonais (toujours selon elle), une femme est considérée féconde dans son rapport aux enfants. Une grand-mère est donc féconde. Je repense à V. qui m’a dit que les Japonais avaient un mot pour tout. Cette journaliste a raison, si les Japonais n’ont pas nommé la ménopause, c’est qu’elle n’existe pas.
Dans le bus qui me ramène à la Friche, un magnifique exemple du syndrome des couilles de cristal me fait face, un jeune homme aux jambes écartées prend deux places à lui tout seul, écrabouillant littéralement sa copine contre la vitre.