Des gens, qui cultivent et vivent sur une terre ceinte de volcans, sur les restes des irruptions et des coulées, dans l’écho la mémoire des pages et des pages de mythologies fascinées par la brutalité solennelle des lieux, ces gens ne sauraient façonner un destin au moins aussi mélancolique que la pulsation, la battance de la mer.
Livre numérique
Benoît Vincent
Féroce
Un roman merterranéen
Au mitan de sa vie, Drieu Pagès, professeur de topographie en disponibilité, écrivain jadis, prend le maquis. Un livre au loin l’appelle. S’agit-il d’un livre à lire ou à écrire ? Une chose est sûre : ce livre est ancré dans ce que depuis des siècles nous appelons Méditerranée : la région, le biotope, le climat, les odyssées, la mer. Pendant que la fin du monde tel que nous le connaissons gagne du terrain sur notre civilisation, Drieu Pagès cherche ce livre mythique où qu’il se trouve, de la Provence au Maghreb en passant par l’Italie volcanique et les îles proches. Férocement il le cherche, traçant dans son sillage les contours d’un roman à la fois troubadour et contemporain, d’aventure et amoureux, végétal et acqueux. Un roman merterranéen.
Des gens, qui cultivent et vivent sur une terre ceinte de volcans, sur les restes des irruptions et des coulées, dans l’écho la mémoire des pages et des pages de mythologies fascinées par la brutalité solennelle des lieux, ces gens ne sauraient façonner un destin au moins aussi mélancolique que la pulsation, la battance de la mer.
Ce livre a été conçu par les éditions Bakélite, et mis en page par Roxane Lecomte. Cette version numérique au format .epub est une coédition Bakélite / La Marelle.
La Marelle remercie l’éditeur, Guillaume Vissac, pour cette magnifique proposition, et pour sa confiance.
Extrait

Aujourd’hui aussi, aujourd’hui encore, la mer appelait.
Elle appelait sous la forme de plusieurs formes.
Sous la forme d’un pauvre village de pêcheurs aux cabanes de bois, non localisé, ou bien dans le port d’une tentaculaire ville industrielle mourante et jaune, où une espèce de clochard, un gueux en réalité, embrochait avec précision les petits corps de vers qui se contorsionnaient, larves de mouches ou de tipules, sur un vieil et étonnamment gros hameçon rouillé, jambes pendantes d’un petit ponton à l’eau verte. De temps en temps il fumait, de temps en temps il buvait, la plupart du temps il décrochait de l’hameçon les déchets et les algues dont on aurait dit qu’ils avaient gobé les appâts.
Elle appelait sous la forme d’un bosquet de lentisques écrasés par le vent qui pourtant promettaient à chaque automne leurs grappes de fruits rouges, presque roses, que d’autres vents implacables encore disperseraient à qui mieux mieux, dans la mer, sur le caillou stérile ou dans la fissure idoine. Ou bien ce seraient les oiseaux qui véhiculeraient cet espoir germant vers des contrées pour la plupart hostiles (ne choisit pas ses vents qui veut), loin de la mer, loin des falaises, qui sait même peut-être dans une vulgaire terre arable indigne du port du pistachier.
Elle appelait sous la forme d’une coulée de grès vert et rouge dévalant vers la mer, bordée de barbons également rouges et verts, accompagnant la descente.
Elle appelait sous la forme du vent aussi, qui s’engouffrait dans la vallée de la Durance, avec certes moins de force que s’il s’était agi du Rhône, mais signifiait tout de même la fin des écarts et des retardements – et annonçait aussi que les eaux seraient bientôt moins bleues, en leur qualité de miroir, et moins saines et moins sereines, que les horizons se confondraient jusqu’à se dissoudre, au loin, pour parfois réapparaître sous la forme de lourds nuages menaçants et gorgés de pluie, au gré des courants.
Elle appelait sous la forme de la plaine des Maures, hérissée du matorral, savane de pins pignons traversée sans hâte et bosquets de liège, parsemée de cailloux de rhyolites ou de granite parmi lesquels se dissimulent des oueds secrets, des isoëtes, des tortues terrestres, du pétrichor à la tourbière.
Elle appelait sous la forme d’une ville qui, clignotante de ses éclats, et son brouhaha rasant les terres, voulait imposer son propre rythme au silence à venir.
Elle appelait sous la forme de pulsions accélérées par la viduité et la viscosité des canaux, par l’acharnement des chairs à vouloir se fondre, comme s’il était naturel pour le vivant animal de désirer l’immobilité de la plante, mue seulement par la lenteur et le mistral, ou l’inertie de la roche, encore moins rapide, que seuls le cœur pulsant de la planète, et quelques plaques tectoniques, peuvent encore surprendre à s’élever ou au contraire à s’effondrer, se faire piétiner, parfois même se laisser entraîner à des profondeurs inouïes, loin du soleil et donc tout aussi loin de la mer.
Elle appelait sous la forme d’oiseaux criards, qui remontaient les fleuves, ou même des pins d’Alep et des chênes verts qui gagnaient vers le nord, ou même de la vigne qui couvrirait les Europes entières avant qu’à son tour le désert ne la recouvre.
Elle appelait sous la forme d’un chalutier qui, perdu en hautes eaux, repose entre ses cheminées toute la solitude du monde, toute la fragilité, malgré les tonnes d’acier et les épaisseurs et les hauteurs et les mesures excessives, toute la risible précarité de son destin, perché sur des flots dont la seule obstination est de recouvrir et donc de noyer.
Elle appelait sous la forme de la bande centrale des autoroutes, fleurie en été de lauriers-sauce béats.
Elle appelait sous la forme d’alignements imbéciles de parasols sur de non moins imbéciles plages de sable, ou la seule originalité du sol est de se prendre pour la mer, où l’identité de l’un se confond avec le mime de l’autre, et où inexorablement le ressac vient arracher son tribut, involontaire minotaure marin.
Elle appelait avec le trop-plein du réservoir des mémoires, et le trop-vide de celui des désirs, et l’incapacité qu’ont les deux à sceller une alliance adéquate, à fomenter un destin paritaire, et ce non sans au préalable lourdement et lâchement entailler le candidat.
Elle appelait sous la forme d’une faiblesse, d’une lâcheté récurrente mais inhérente, celle qui forme la nature même de ce candidat, pétri de malfaçons et nourri de gloire, envahi d’angoisses nocturnes (ou post-nocturnes, les heures entre chien et loup sont les plus dangereuses, les ombres sont invisibles, mais les mouvements sont brouillés, comme masqués par leur imperceptible mouvement) et munis d’inépuisables esquives et virevoltes qui permettent soi-disant de camper ici et camper un peu plus, camper un peu encore, dans l’avancement de sa vie qui vient, c’est-à-dire dans l’amenuisement du temps qui passe.
Elle appelait sous la forme de ce chien abandonné sur son monticule de couvertures lié à un caddie, dans la rue ensoleillée ; il aboyait en levant la tête comme au ciel, et sans cesse scrutait les passants de droite et gauche qui viendraient le libérer de son supplice, non pour la liberté, mais pour son esclavage, sous les traits de son maître.
Elle appelait comme l’incendie qui ravage le maquis et la garrigue.
Elle appelait comme ce jeune qui saute les grilles du parc communal, fermé à cette heure nocturne, non pour y entrer mais pour en sortir, ayant été éconduit par celle qu’il avait séduite, en vain. Il avait trébuché dans sa chute, probablement s’était-il entorsé le pied.
Elle appelait enfin sous la forme simple d’un orage, qui cette nuit-là vint briser la chaleur opaque, et dans son déchaînement de son et lumière, mit un terme convenu, et entendu, à l’été.
Elle appelait comme ces gens condamnés, coincés sur un canot tristement pneumatique, abandonnés à l’espoir de la compassion, à la clémence des courants marins et aériens, et à la préciosité de louches malfrats.
Je ne sais pas quel est le nom de cette ombre qui claque la porte d’une chambre. Ce que je sais c’est qu’après cette nuit clandestine, Drieu salua son ami avec lequel il s’était arrangé pour ne pas avoir à faire machine arrière, et reprit sa route pour pointer sud toute, sud, vers la ville, la ville magnifique et défigurée, la ville perverse et noble, Marseille, car il avait là une tâche à accomplir, comme lui avait dit Abdelghani dit Abdel dit l’Arabe plusieurs jours auparavant (distance qui lui semblait une éternité à présent), même si cette tâche signifiait le risque de s’oublier, oublier la route pourtant qu’il avait jusqu’ici travaillé à faire venir. En allant à Marseille, ce n’est plus lui qui filerait la route, mais la route qui viendrait à lui, pécore fidèle et obéissante.
Et c’est ce qu’il fit. Démarrer la bagnole. Mettre un disque, il n’y a qu’un disque, c’est toujours le même disque. Partir. Avancer.
« Chaque nouvelle ville est un souvenir oublié » disait un poète ignoré, l’autre jour, à la radio ou au bar, je ne sais plus. Voilà qu’il s’agissait à présent d’accumuler les expériences de la mer pour effacer totalement cet individu qui ne prétend même plus à un tel statut, le statut d’untel, mais se donne les moyens, tout en s’effaçant sur le paysage, de se fondre dans la nature.
L’auteur en bref
Benoît Vincent est écrivain et botaniste. Membre du collectif du Général Instin, il collabore à diverses revues littéraires, dont la revue en ligne Hors-Sol qu’il codirige avec Parham Shahrjerdi. Il anime le site Ambo(i)lati qui regroupe les différentes régions de son ouvrage.
Parmi ses publications :
- Trame, Publie.net, 2008
- Pas rien, Publie.net, 2011
- Farigoule Bastard, Le nouvel Attila, 2015
- Local Héros, Publie.net, 2016
- GEnove, villes épuisées, Le nouvel Attila, 2017
- Un de ces jours. Pink Floyd, une fiction, Publie.net, 2018
- L’entreterre, Les Inaperçus, 2019
- Féroce, Bakélite, 2024
Commentaires et critiques
- Double-page de Féroce dans Libération
- 45 minutes de Féroce dans les Midis de France Culture
- Féroce dans L’Humanité et Remue.net
- Féroce est Un dernier livre avant la fin du monde
- Féroce lu par Juliette Cortese
Quelques lectures à découvrir en audio et vidéo
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Informations
Roman merterranéen de Benoît Vincent, premier livre des nouvelles éditions Bakélite, Féroce est
• un livre imprimé (25 €)
• un livre numérique (4,99 € ici même via La Marelle)
• un livre web (à prix libre via le site Bakélite)
Mais c’est avant tout une œuvre-aventure dont la rédaction a pris 11 années, et la publication plus de 3 ans.
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Prix4,99 €
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Nombre de pages(non concerné)
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Parution13/02/2014
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Matériel recommandéTous supports et dispositifs
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Logiciel recommandéiBooks
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Lecture possible sur liseuseOui
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Meilleure confort de lectureSur tablette
Benoît Vincent