Pourquoi elle est morte et pas moi ?
Je ne me sépare plus de ce fortune cookie porte-bonheur, à l’intérieur du papier doré, le cookie est cassé en mille morceaux, seul lien qui me reste avec les silhouettes dorées, des victimes sous leurs couvertures de survie.
Nous sommes des survivants.
Vous êtes des survivants. La fille de Ouarzazate
La première chose que je peux vous dire…
Lydie Parisse
Revue #27
La première chose que je peux vous dire…
La première chose que je peux vous dire c’est qu’aujourd’hui c’est mon anniversaire, et que mon plus beau cadeau, c’est d’avoir pu inaugurer ma résidence à La Marelle en présentant au Frac "La Chambre du cercle 1" dans le cadre des Instants vidéo. Pour moi, cette installation immersive, ça a été une manière d’arriver vraiment sur Marseille.
Extrait de "Corps perdus"
Journal suivi de deux monologues
Que faisiez-vous le 7 janvier 2015 à 11h30 ? Une consigne classique pour un atelier d’écriture. Je pense à la pièce de Michel Vinaver, 11 septembre. Je pense à Gaby Monnet, mort le 12 décembre 2010. Dans mon premier texte de théâtre, il donne une voix enregistrée dans la nuit. Le spectacle est une installation plastique déambulatoire qui propose aux spectateurs un voyage en trois cercles dans les chambres intérieures dont le centre se dérobe. Gaby interprète de sa voix caverneuse un texte sur les trous noirs, où il est question de la mort, sa voix aujourd’hui, quand on l’entend dans le spectacle, sa voix est devenue une voix d’outre-tombe, qui nous étreint, qui nous émeut.
Dans un trou noir, si votre montre marque une minute, cela vaut une éternité sur la terre. Vous regardez votre montre et déjà vous êtes depuis longtemps mort. Même sans la regarder vous êtes mort. Même sans porter de montre vous êtes mort. Le simple fait d’être né vous expose à la mort. Que votre naissance ait été désirée ou pas, par votre père, par votre mère, vous êtes mort. Que vous soyez arrivé par accident n’y change rien. Votre mort ne sera pas un accident.
Tout témoigne de la présence-absence de Gaby dans la pièce, jusqu’au son de son carillon que nous avions enregistré dans sa maison au milieu des bois, chez lui et Monette. Gaby a aimé la force de mon texte et il m’a dit :
S’il y avait une pièce à écrire, et si j’avais ta plume, j’écrirais une pièce sur ce thème : rencontrer l’âme du théâtre et que ça soit un assassin du 11 septembre.
Cette consigne je ne l’ai jamais soumise en atelier d’écriture, et si je demande à mes étudiants, que faisiez-vous le 7 janvier 2015, ils vont vite prendre un air dégoûté et il faudra trouver autre chose. Je repense parfois à "l’âme du théâtre" de Gaby et à son projet de pièce pour moi. Je m’intéresse davantage aux victimes qu’aux bourreaux, mais j’ai écrit un brouillon de pièce avec deux anges exterminateurs, ils regardent de surplomb les humains et finalement les exterminent avec le geste exact que nous avons quand nous appuyons sur le pulvérisateur qui nous délivrera du moustique qui nous empêche de dormir les moites soirs d’été. "L’univers est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part", cette phrase de Pascal que j’avais tracée sur les murs lors de la première version avait produit un effet de vertige sur un spectateur qui m’avait dit : "j’ai l’impression d’entrer dans quelque chose où il y a plein de mondes". N’est-ce pas là "l’âme du théâtre" : faire pénétrer les spectateurs dans un espace où la pensée est en suspens ?
"Toujours pas d’attentat en France". "On a jusqu’à la fin janvier pour présenter ses vœux", répond la caricature de Mahomet. C’était mon anniversaire il y a deux jours.
Au sommaire
- Texte inédit : "Corps perdus"
- Bio-bliobiographie
- Le questionnaire ludique ! [extraits des réponses]
- Un oloé ? [* Oloé : "espace élastique où lire où écrire", mot créé par Anne Savelli. Voir son livre Des oloés, publie.net, 2020]
N’importe quel lit. - Un coup de cœur artistique ?
"Soubresaut", le dernier spectacle du Théâtre du Radeau. - Un son, une musique ?
"Le Lac des cygnes", revu par Public Image Limited - Un toc d’écriture ?
"Tout le monde" - Un auteur fétiche ?
Samuel Beckett - Un a priori sur Marseille ?
Le décorum architectural immuable. Mais aussi l’autre ville, humaine, vivante, inconnue, les histoires de vengeance du Comte de Monte-Cristo.
- Un oloé ? [* Oloé : "espace élastique où lire où écrire", mot créé par Anne Savelli. Voir son livre Des oloés, publie.net, 2020]
Édito
Lydie Parisse est à la fois écrivaine dramatique, plasticienne, metteuse en scène, et enseignante-chercheuse. Elle donne également des performances poétiques autour de ses formes courtes et de ses dessins. Elle unit ainsi dans un même mouvement sa pratique artistique à son travail de réflexion théorique, tout comme ses œuvres hybrides mêlent presque toujours textes, vidéos, performances et installations.
Pour son projet de résidence à La Marelle, elle poursuit un travail autour d’un thème qui revêt une importance fondamentale à ses yeux, celui de l’enfance, "la condition humaine artistique" selon Tadeusz Kantor. "On écrit toujours à partir de l’enfance, dit-elle, de ce que Lagarce appelait le “pays lointain”, ce pays si loin, si proche, à la fois palpable et à jamais intouchable, qui forme la matière de l’écriture." Pour questionner ce thème, elle mène ici un projet inti- tulé "Chambres" qui nourrit deux propositions d’écriture menées en parallèle, une installation vidéo et une forme théâtrale. La chambre est un "espace frontière entre le dedans et le dehors, un espace seuil", qu’elle cherche à appréhender au cœur de Marseille, une ville tissée d’espaces-frontières, de fractures invisibles… Un lieu de tous les désirs, de toutes les peurs, mais aussi de tous les possibles.
La démarche de Lydie Parisse a déjà permis des collaborations artistiques inédites, comme avec les Instants Vidéo Numériques et Poétiques ou avec le Fonds régional d’art contemporain Provence–Alpes–Côte d’Azur. Des lieux où se rejoignent art plastique, image, art numérique et écriture : bref, presque la résidence modèle pour La Marelle, toujours heureuse quand les disciplines artistiques se croisent !
Pascal Jourdana
directeur artistique de La Marelle, avril 2018
La revue radiophonique
La "revue radiophonique", enregistrée en studio puis diffusée sur les ondes de Radio Grenouille et en podcast.
Informations
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Prix2,00 €
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Nombre de pages16
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Parution05/04/2018
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