Après le disque, spectacle et ciné-concert autour de Tina Modotti (1896-1942) qui fut tour à tour ouvrière, actrice, photographe et activiste communiste, le duo Catherine Vincent s’attache à la figure de Walter Benjamin (1892-1940). Le pendant masculin de Modotti ? Comme pour Modotti, ils souhaitent partir sur ses traces, arpenter les lieux qui l’ont marqué.
C’est en jouant avec les lettres du nom de Walter Benjamin que Catherine Estrade et Vincent Commaret, ont trouvé l’anagramme Jamel Ibntrewan. Jamel Ibntrewan sera donc le nom de leur héros. L’alter ego de Walter Benjamin en 2019. Et décident qu’il est un exilé syrien réfugié à Berlin.
Pour ce projet, Catherine Vincent comptent plonger dans la lecture de Walter Benjamin, mais aussi partir vivre les villes dans lesquelles il a vécu et arpenter les lieux de l’exil de Jamel Ibntrewan. À Berlin, devenue aujourd’hui la capitale européenne des réfugiés syriens en Europe, ils veulent, comme leur héros, étudier l’allemand et se retrouver dans le rôle d’apprenants.
Leur duo musical est né en Syrie où ils ont vécu de 2000 à 2004. Depuis, ils n’ont jamais coupé le lien avec la Syrie, qui s’est même depuis renforcé avec la Révolution, en composant des chansons pour la soutenir, ou en allant dans les lycées avec des réfugiés syriens pour porter leur parole. Un séjour à Beyrouth sera donc probablement aussi nécessaire.
Le résultat sera un livre-disque édité par La Traverse. Le disque inclura des chansons, des textes en musique, des créations sonores, et il sera (comme à leur habitude) polyglotte : français, allemand, arabe, espagnol. Le livre comportera les textes illustrés par différents collaborateurs : dessinateurs, plasticiens, photographes et cinéastes. Ils utiliseront également cette matière visuelle lors de l’élaboration du spectacle lié à cet album.
Est-ce qu’il sera “inclassable, comme Benjamin, ne se réclamant d’aucun courant” (Agnes Sinaï, Walter Benjamin face à la tempête du progrès, Le passager clandestin, 2016) ? Ce personnage reste encore à définir mais nous savons déjà qu’il a été un témoin privilégié de la Révolution née en Syrie en 2011. Qu’il a été poussé à l’exil, d’abord au Liban, puis en Europe, à Berlin. “Littéralement Benjamin s’est caché dans ses œuvres, un clandestin de la vie, dont le seul passeport est constitué par ses textes, volontairement fragmentaires, toujours prêts à brouiller les pistes, perdre l’enquêteur et affoler la police, mais qui sont gros de tout ce que cette vie d’exception aura vu bien avant les autres” (Bruno Tackels, Walter Benjamin une vie dans les textes, Actes Sud, 2009). De cette citation qui définit admirablement bien l’homme de lettres allemand, nous retenons les mots fragmentaire, caché, clandestin, exception. Partir à la rencontre de Benjamin en suivant les pas de Ibntrewan…
Suivre Jamel en qui résonnent, en ce nouveau siècle tumultueux, bien des aspects de la vie et de l’œuvre de Walter : les années de guerre, l’exil. Nous découvrons aussi des résonances avec nos propres trajectoires… ainsi le goût des voyages, Marseille, les effets du haschich… Il ne s’agit pas de réaliser une biographie musicale. Nous voulons nous intéresser à ses balades urbaines, son approche de la traduction, ses pièces radiophoniques, ses souvenirs d’enfance observés depuis l’exil. L’anagramme est un jeu et nous voudrions que le jeu soit un aspect important du livre-disque. Par exemple que les lecteurs auditeurs devinent (ou pas) la référence à Walter Benjamin. À nous de trouver la forme.
Catherine Vincent
La "revue radiophonique" diffusée sur les ondes de Radio Grenouille et en podcast sur la plateforme Transistor.
Walter Benjamin est né en 1892, de parents juifs, à Berlin. Il y suit des études de philosophie et soutient sa thèse sur la critique d’art à l’époque romantique, en 1918 à l’Université de Berne. Dès 1914, il commence à traduire Baudelaire. Dans les années 1927-1930, il se lie d’amitié avec Horkheimer, Adorno, et Brecht. La présence hitlérienne le pousse à effectuer de nombreux voyages, notamment en France. Il traduit alors Proust et Balzac. Il s’exile définitivement en 1933. Il tente de quitter l’Europe pour les États-Unis en 1940. Mais la nuit de son arrivée en Espagne, il est arrêté à Portbou et se suicide en absorbant une dose mortelle de morphine, pensant que les autorités espagnoles allaient le livrer à la Gestapo…
Mise à jour du printemps 2020
Nous avons travaillé avec des élèves de première et leurs professeurs d’arabe, allemand, français et anglais. Nous leur avons proposé de réaliser une adaptation sonore de la nouvelle de Walter Benjamin Myslowice – Braunschweig – Marseille qui raconte l’arrivée d’un étranger à Marseille et sa promenade dans les quartiers périphériques de Marseille, à deux pas du lycée Saint Exupéry, puis son errance sous l’emprise du haschich sur le Vieux-port.
En effet notre résidence d’écriture nous a mené à Berlin, ville natale de Walter Benjamin. L’intellectuel allemand a inspiré notre personnage Jamel Ibntrewan, qui a fui la Syrie à cause du conflit actuel pour se réfugier à Berlin.
En raison des mouvements sociaux qui ont agité la vie du lycée puis du Covid-19, cet enregistrement n’a pu être finalisé avant l’été. Nous sommes donc retournés au lycée cet automne 2020 afin d’achever ce projet sonore, que vous pouvez écouter ici.