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En résidence de création

ULTRAVIANDE
Camille Zéhenne

■ Marseille et La Ciotat
[Avec le CipM]
■ Septembre et octobre 2024

Le projet d’écriture

Camille Zéhenne est accueillie en résidence croisée au Centre international de poésie de Marseille (CipM) et à La Marelle pour poursuivre l’écriture d’Ultraviande.

« Dans une ville polluée au bord de la Méditerranée, Rita Zinzu travaille dans une boucherie qui ne vend que des lapins, la viande pas chère dont se nourrissent les 80% de l’humanité. Il fait chaud, presque 60 degrés en ville, et sous ces températures extrêmes, luttant contre les nuisibles, Rita peine. Elle vit avec son frère Lisandru qui éteint les feux sur la montagne de déchets à la sortie de la ville. Sans clim, sans argent, sans légumes, la vie monotone de Rita à la boucherie l’étouffe. Sous la coupe de Youri, petit patron agaçant, les jours sont sans fin. 

Pas d’espace pour l’amour, Rita, ouvertement lesbienne, est seule et sans plaisir.

Le jour où son frère meurt dans un éboulement de déchets, la routine déraille et Rita s’échappe dans la ville avariée sans autre but que de noyer sa tristesse et d’éprouver la chaleur pour mettre en jeu son corps face à la mort. Mais elle va rencontrer le plaisir là où elle ne l’attendait plus. »

Note d’intention de l’autrice

 Je souhaite faire un récit en vers libre de la sensorialité dans une ville avariée. 

Dans une ville qui pourrait être une jumelle de Marseille en 2060, que le béton assèche, emprisonne et étouffe, Rita Zinzu (Rita l’oursin) travaille dans une boucherie qui ne vend que des lapins, chaque jour elle lutte contre la chaleur et les nuisibles qui lui piquent la peau. J’ai commencé à écrire ce texte cet été en Corse, j’étais comme chaque année en vacances chez ma famille, mais il faisait 45 degrés et nous étouffions. J’ai été plus fatiguée que d’habitude, cette chaleur qui alarmait les médias et les habitants, les feux qui sévissaient partout, les coupures d’électricité m’ont conduite à m’interroger sur une manière d’appréhender le monde du point de vue de la chaleur et de ses effets sur nos corps. Les fortes chaleurs, surtout si l’on est contraint·e à faire des efforts, ont une prise totale et continue sur son propre corps, son état généralisé. J’habite dans une petite cité à Paris et j’ai eu plein d’invasions de nuisibles chez moi : punaises de lit, souris, cafards, fourmis, rats, moustiques qui sont inhérents à l’habitat collectif, et qui prolifèrent dans les espaces urbains à mesure que les températures augmentent. J’ai imaginé en partant de ces deux expériences, une existence dans laquelle elles seraient extrêmisées et quotidiennes, vécues par un personnage féminin lesbien à la vie affective et amoureuse impossible de part sa situation sociale et les contingences quotidiennes qui l’enferment dans une routine presque esclavagisante.

J’entrevois ce texte comme une sorte d’uchronie à partir du présent et de ce qui nous attend mais sur un mode qui emprunte tantôt à l’absurde tantôt à la poésie, je ne souhaite pas faire un récit de science-fiction mais imaginer le monde contemporain sous 50 degrés avec ce postulat : les pauvres n’ont plus que du lapin à manger et seules les personnes aisées ont accès à une nourriture végétarienne qui est valorisée. Le personnage principal travaille dans une boucherie, débite et vend des lapins, elle souffre de la chaleur entre 3h du matin et midi tous les jours. L’existence est sans distraction, elle subit sa condition sociale et climatique, il n’y a aucune place pour le désir, le plaisir et l’amour.

De temps en temps, elle se souvient d’épisodes de son enfance à des températures clémentes. 

Comment se réveille-t-on d’une existence sans but, comment peut-on sortir d’une existence contrariée par les aléas climatiques et sociaux ? 

Le point de départ de mon récit c’est ce personnage qui est contraint par un environnement, une condition sociale, ce qui constitue un double enfermement. Je voulais d’une part traduire ce double enfermement d’un point de vue sensoriel et aussi tenter d’en montrer, car c’est ce que permet la fiction, les conditions de son émancipation et la possibilité de désirer à nouveau en allant vers du romanesque, une puissance libératrice du fictionnel. 

Avec ce texte je voudrais essayer de trouver une poétique du renversement. La littérature peut ouvrir une virtualité qui renverse, qui déplace les positions enfermantes. Je veux aussi montrer comment la littérature propose des manières d’échapper au monde devenu sursignifiant, à la domination et au contrôle qui s’exerce sur nous au quotidien en opérant des ponts entre la poésie, le sensoriel et la description de situations dystopiques quasi réalistes.

Je voudrais raconter la souffrance des corps d’un point de vue sensoriel, restituer les effets des contingences sociales, climatiques sur les corps, sur les respirations, leur sommeil, leurs désirs tronqués, leur fatigue continuelle. Une sorte de phénoménologie de la discipline que la société, le monde, l’écosystème, le climat peuvent exercer sur nos corps et nos consciences. Montrer comment les conditions sont subies jusque dans les chairs, c’est ce que permet d’exemplifier les températures extrêmes et la pollution auxquelles sont confrontées les personnages principaux. 

Camille Zéhenne



Extrait

chaque matin qui se répète se répète et

le réveil fut corrosif. 

la nuit sans rêves, depuis longtemps les songes dont désertés ses rétines. 

Rita Zinzu que la touffeur du matin crève, 

grille ses poumons, par la fenêtre, la ville en ruines. 

regarde.

les façades écaillées narguent les nuages absents. 

le béton fier exsude les fenêtres ouvertes 

et rouillées, inutiles aux étuves. 

corps s’y amassent, blattes s’y tassent. 

et les nuages rouges varient la lumière. et la ville est cuve. 

elle tord la cigarette sans la consumer, 

paresse, 

à Rita le ciel toujours pareil est sans promesses.

Extrait du projet en cours Ultraviande, 2024, Camille Zéhenne

Le lieu de résidence

Depuis le printemps 2021, La Marelle a ouvert cette nouvelle « maison », la Villa Deroze, située au milieu des pins, sur les hauteurs de la cité portuaire de La Ciotat. Confiée avec générosité par Danielle Deroze, elle est destinée à accueillir artistes, auteurs et autrices, pour des projets de création qui souvent se croisent ou s’hybrident.

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