J’ai pour projet de réaliser une bande dessinée mettant en scène l’histoire de la démocratie participative, ses applications et ses dérives. Cette enquête sera publiée dans la Revue Dessinée, trimestriel proposant une lecture du monde actuel par la bande dessinée de reportage. Ce sujet est écrit en collaboration avec Alice Mazeaud, Guillaume Gourgues, Magali Nonjon, tous les trois Maîtres de Conférence en science politique, spécialistes de la démocratie participative.
Dans une première partie, nous reviendrons sur l’histoire de la démocratie participative, des années 1960 à nos jours. Force contestataire et mue par une envie de contre-pouvoir à ses débuts, la démocratie participative a été récupérée par le monde politique dans les années 1980, dans l’idée de fournir une réponse aux problèmes sociaux. Dans les années 1990/2000, ces dispositifs se sont multipliés (débats publics, conseils de quartiers, de jeunes, de sages, d’étrangers, de handicapés…), cette forme de démocratie étant parée de toutes les vertus, semblant nécessaire, inéluctable et signe de modernité.
Bien qu’il y ait des expériences qui fonctionnent et que des projets se soient améliorés grâce à la participation, nous souhaitons, dans un second temps, en montrer les dérives et les effets pervers.
Ainsi, un des enjeux majeurs consiste à sélectionner le public. Il s’agit de faire venir des participants en nombre tout en évitant ceux qui seraient trop politisés et mobilisés. Or, on assiste à l’afflux de participants professionnels tandis que certaines catégories sont recherchées (défavorisés, immigrés, jeunes,…) En outre, on constate que la parole est confisquée lors de ces réunions, les participants ne pouvant pas toujours s’exprimer sur les sujets qui les intéressent et devant se mobiliser selon les formes requises (post-it, boîtiers de parole, théâtres gesticulés,…);
Le projet tend alors à se réduire à un ensemble de méthodes et la dimension politique passe au second plan. On constate également que le pouvoir est en réalité peu partagé avec les élus : les décisions prises lors de réunions faisant appel à la démocratie participative ne portent que sur des sujets secondaires et non-essentiels tandis que les enjeux majeurs sont gérés à l’échelle mondiale par des cercles d’élites non-élues. Les participants désertent donc ces réunions, leur pouvoir de prises de décision réel étant réduit.
Malgré la multiplication de ces initiatives citoyennes, cette BD montrera qu’il n’existe en réalité par de réel contre-pouvoir face aux élus, ce qui serait pourtant la condition d’une véritable démocratie participative.
Cette analyse prendrait tout son sens sous forme de bande dessinée. Elle permettrait de retracer l’histoire de la démocratie participative (passage des luttes urbaines aux réunions policées), de témoigner de l’exclusion et de la catégorisation des publics, et de rendre compte du cadrage des prises de parole (bonne manière de s’exprimer dans un dispositif participatif) et des méthodes de participation (post-it, boîtiers de parole, …). La bande dessinée permet d’incarner tous ces moments et de les rendre vivants, mais également de rendre accessibles et compréhensibles des concepts en passant par des métaphores visuelles.
Ce projet s’inscrit dans un travail de longue date sur le reportage en bd ; j’ai en effet pu explorer les liens entre journalisme et bande dessinée lors de précédents reportages menés pour TOPO et la Revue Dessinée, et lors de la réalisation d’un reportage BD retraçant la construction de la LGV Tours - Bordeaux mettant en avant l’humain, le travail en équipe et la vie sur un chantier de cette ampleur. Par les possibilités qu’offrent le dessin et la narration séquentielle, le média bd apparaît comme un vecteur pertinent pour transcrire le réel, transmettre l’information, délivrer une vision du monde, mettre en image des savoirs.
En outre, le thème choisi, la rencontre du reportage et de la bande dessinée pour porter un regard éclairé, distancié et critique sur notre monde actuel, ainsi que le mode de diffusion de ce travail dans la Revue Dessinée me semblent correspondre aux thématiques développées par la résidence de Draguignan. Celle-ci me permettrait de continuer ce travail de réflexion sur la complémentarité entre journalisme et bande dessinée et de me consacrer pleinement à cette enquête.
Joseph Falzon