Textes et dessins (aquarelles, crayons de couleur, encre de chine) du long des fissures témoignent d’un été passé à marcher alors que le climat fait obstacle, deux regards s’additionnent pour chercher l’étonnement et la joie dans les paysages comme dans les rencontres.
Made in La Marelle
Patricia Cartereau et Éric Pessan
Le long des fissures
janvier 2023
Description de l’éditeur
Été 2018, l’artiste Patricia Cartereau et l’écrivain Éric Pessan sont invités à Marseille par La Marelle pour un travail de résidence et d’immersion autour du GR2013, sentier de grande randonnée créé par un collectif de marcheurs, d’artistes et d’urbanistes. Deux mois durant, en pleine canicule, alors que la chaleur bat des records à Marseille comme dans toute l’Europe et une grande partie du monde, ils arpentent étape par étape les 365 km du sentier de grande randonnée.
Résidence effectuée à La Marelle en été 2018.
Source : L’Atelier contemporain
Extraits
Sans chercher – et le hasard fait vraiment bien les choses – je tombe sur une information qui me plaît beaucoup : le mot randonnée a changé de sens au fil des siècles, il signifiait à l’origine courir impétueusement, courir très vite et sans trop savoir où, il provient de l’ancien français randon qui lui-même vient du germanique rand. L’anglais a assimilé ce rand pour son verbe run, mais également pour le mot random, qui évoque le hasard, voire le fait de se perdre. La sage randonnée soigneusement préparée, carte ou GPS à l’appui contient donc en elle la possibilité du désordre: la marche se transformant en course perdue, ou conduisant à adopter des chemins au hasard jusqu’à se perdre.
Partout, si on cherche bien, on voit la beauté.
Je souris en écrivant ce mot : beauté. Je sais qu’il a été banni des discours il y a bien longtemps. La défiance de l’esthétisme a rendu la beauté haïssable, elle est un signe de faiblesse, ou de ringardise.
Un visage marqué est beau, un paysage asséché est beau, un caillou ramassé par ta main est beau. Il y a de la beauté dans les rues les plus encombrées d’ordures comme dans le sol le plus dur. La beauté surgit et c’est incompréhensible. Il faut s’en méfier parfois, ne pas en rester à l’émotion mais comprendre la réalité qu’elle devance.
C’est inexplicable de trouver beaux certains sentiers où l’épuisement nous guette. Tout comme il est inexplicable d’être frappé par la beauté d’un homme dormant sur un matelas crasseux en pleine rue. Les vendredis et samedis, la terrasse de la Belle de Mai s’ouvre au public et aux DJ. Le soleil se couche sur Marseille aux rythmes binaires d’une électro-house souvent peu inventive. La ville bascule dans l’or, puis l’orangé, puis le rouge, le spectacle est d’une immense beauté.
Est-ce bien la même beauté que j’éprouve?
Sans doute, oui. Alors accepter la beauté, celle qui récompense l’effort comme celle qui esthétise la détresse. Espérer être beau le jour de sa propre mort, et ne pas être dupe de ce que parfois la beauté dissimule.
À grands frais, un artiste de renommée internationale fait réaliser des bouées de marbre hyperréalistes pour évoquer le sort des migrants noyés. C’est beau ? Je ne sais pas, je ne vois que l’argent et le concept. La facilité de la dénonciation ne laisse sous mes yeux qu’une œuvre de plus, lourde de son intention comme de sa matière.
Nous marchons, je te trouve belle, je te le dis, tu chasses le compliment, tu es fatiguée, transpirante, poussiéreuse. Et pourtant, mon émotion, là, à cet instant est fulgurante. Je suis littéralement harponné par ta beauté familière. Tu ne m’écoutes plus, tu marches, attentive au chemin. Ce surgissement de beauté, je le garde précieusement en moi.
Les pierres que tu collectes pour les peindre ne présentent en elles aucun intérêt. Elles deviennent belles par ton travail, par les transparences de l’aquarelle, l’œuvre du pinceau sur le papier ; elles sont belles au-delà de toute querelle sur le sens et le but d’une œuvre d’art. Elles existent. Plus qu’avant où – au sol – elles étaient un fragment de l’indistinct.
Aller plus loin…
Patricia Cartereau et Éric Pessan ont eu envie de prolonger leur travail commun en proposant une lecture-dessinée durant laquelle ils lisent et dessinent alternativement.
Cette lecture performée peut avoir une durée de 40 à 60 minutes.
→ En savoir plus en téléchargeant la plaquette de présentation (pdf).