Skip to main content

Au creux d’un vallon, à la lisière d’une forêt, Franz retrouva des troupes de Bohémiens qu’il avait connues autrefois. Les Bohémiens firent entrer le musicien dans leur salle de concert privée : une clairière dans la forêt, juste sous le ciel.

Made in La Marelle

Emmanuelle Pireyre

Franz Liszt et le divan ultra fleuri

Philharmonie de Paris, avril 2022

Description de l’éditeur

Une force ardente irrigue la vie de Franz Liszt et anime son parcours musical : son amour fou pour les Tsiganes. Liszt a rêvé leur mode de vie voyageur, promesse d’une vie autre, et leur musique comme leurs danses lui ont inspiré ses Rhapsodies. Dans ce conte onirique raconté par Emmanuelle Pireyre, avec des photogrammes argentiques d’Anna Katharina Scheidegger, surgissent les échos d’une nature abondante et hallucinée.

Franz Liszt, compositeur, est né à Doborján en Hongrie et mort à Bayreuth en Allemagne après avoir sillonné l’Europe comme enfant prodige, puis comme pianiste virtuose.

Source : Philharmonie de Paris

Extrait

Au creux d’un vallon, à la lisière d’une forêt, Franz retrouva des troupes de Bohémiens qu’il avait connues autrefois. Leurs ducs et chefs l’accueillirent,
les enfants cabriolaient tout autour, les femmes assises par terre fumaient la pipe. Les Bohémiens firent entrer le musicien dans leur salle de concert
privée : une clairière dans la forêt, juste sous le ciel. Là, il s’allongea pour écouter leur concert, sur le trône champêtre qu’ils avaient préparé : un amoncellement chatoyant de fleurs sauvages fraîchement coupées, multicolore, odorantes, enivrantes.

Dans ce cadre enchanté, les Tsiganes jouèrent leur musique pour eux-mêmes et leur unique invité : une musique ensorcelante, qui commença par aller lentement chercher sur le tempo alangui du lassú la couche sombre de douleur humaine au plus profond des participants, puis accéléra en friss, danse rapide d’une folle allégresse. La complexité généreuse des mélodies, des harmonies et des rythmes faisait corps avec la nature profuse. Au foisonnement végétal correspondait l’exubérance sonore, directement transmuée en musique : bourdonnement des abeilles, fredonnement du grillon et de la cigale, sifflements en contralto des frelons et des guêpes, bruissements d’ailes, chants des oiseaux, clapotement d’un ruisseau, craquements des branches, coassement des grenouilles.

Les mélodies se tissaient aux sons ambiants. Pas question de faire taire le public ni de le tenir assis dans une écoute polie. La musique s’insinuait dans le vacarme de la vie quotidienne et l’ivresse du moment. Elle incorporait le brouhaha, grincement des chars déplacés pour faire de la place aux danseurs, hourras, acclamations, hennissements des chevaux, craquements des noisettes, cris d’enfants, explosions des rires.

Un jour, la pluie surprit l’assistance. Il fallut plier bagage pour se mettre à l’abri. Mais les Tsiganes n’en avaient pas encore assez de jouer et refusèrent d’arrêter. Toute la compagnie se transporta en chariot jusqu’à une antique grange voisine. Là, sous l’orage, la musique reprit et fusionna avec le tonnerre, les crépitements de la pluie et les craquements de la charpente prête à s’effondrer.