Accéder au contenu principal

Petite Fille et Petit Garçon, deux enfants migrants orphelins, ont échoué dans une rue imaginaire de Marseille (Maeterlinck avenue) dans un étrange hôtel au bord de la mer qui abrite provisoirement des personnes réfugiées. Ils vont y rencontrer le poète et plasticien Jean-Luc Parant qui les guidera dans un palais enchanté à la découverte d’un monde invisible où l’on apprend à voir.

Made in La Marelle

Lydie Parisse

Les Éblouis

Cie Via Negativa, février 2019

Description de la pièce

Les Éblouis est né de la rencontre de Lydie Parisse, écrivaine, plasticienne, metteure en scène, et du poète et plasticien Jean-Luc Parant. L’histoire racontée ici est liée à l’histoire de leur rencontre, liée aussi à un épisode vécu par Jean-Luc Parant.

Deux jeunes orphelins arrivent par la mer à Marseille et se retrouvent dans un drôle d’hôtel où un poète leur propose de les amener vers le royaume de l’avenir, ce qui sera possible s’ils veulent bien visiter les pièces de cet étrange palais : ils traverseront la chambre du soleil et de la terre, l’antichambre de la bibliothèque idéale ; l’antichambre des arbres, l’arrière-chambre des animaux, l’arrière-chambre des yeux, et bien d’autres, où ils s’interrogeront sur le vivant, sur le sens de la vie, sur le bonheur.

Ce spectacle pour trois acteurs propose un voyage dans une Carte du Tendre métaphysique et un parcours plastique à travers les œuvres de Jean-Luc Parant : les boules, les bibliothèques idéales, comme les réalisations graphique. Il permet de rendre compte d’un regard singulier sur le monde, tout en s’interrogeant sur la nature de la vocation artistique.


Conception, mise en scène Lydie Parisse
Texte, scénographie, dessins Lydie Parisse et Jean-Luc Parant
Création lumière, régie générale Éric Laborde
Régie Fabien Le Prieult
Musique, espace sonore Columbus Duo, Moabi, E. Valeur
Vidéo Yves Gourmelon, Arnaud Romet, E. Valeur

Source : le site de l’autrice

Extrait

Le Poète
— Je m’appelle Jean-Luc Parant, je suis fabricant de boules et de textes sur les yeux. Un jour de printemps, mon cœur s’est arrêté de battre pendant quelques minutes. On m’a sauvé, et pour cela on m’a plongé pendant dix-huit jours dans un sommeil artificiel, à l’hôpital. Pendant dix-huit jours j’ai rusé avec la mort, et deux enfants sont venus me visiter dans mes rêves. Aujourd’hui je suis convaincu que ce n’était pas des rêves.  Il y avait une petite fille aux cheveux blancs et son frère, plus jeune qu’elle. Leurs joues étaient douces et leurs yeux fiévreux, comme s’ils ne pouvaient voir que de nuit, comme s’ils avaient besoin d’hiberner avant de renaître au printemps. Ces enfants venaient me visiter dans mes rêves, il y avait cette petite fille aux cheveux blancs qui me parlait. Puis je suis revenu à la vie. Ce qui est certain c’est que si on m’a fait revenir, ce n’est pas pour rien.  

Tandis qu’on était en train de réparer mon cœur en panne en réglant une petite machine  placée sous ma peau, la petite fille aux cheveux blancs m’est apparue et elle m’a dit : dessine-moi une chambre où je puisse habiter. Puis son frère est venu, il était plus jeune qu’elle, et il m’a dit : dessine-moi une boule. Je leur ai demandé pourquoi ils n’étaient pas avec leurs parents, ils m’ont répondu qu’ils venaient de l’autre côté de la mer et qu’ils avaient perdu leurs parents.

Aujourd’hui il y a des humains qu’on empêche de renaître pour être eux-mêmes et heureux de l’être, il y a des humains qu’on fait redevenir des animaux. Ils marchent, ils quittent leur territoire, ils migrent mais on les empêche de renaître ailleurs que là où ils sont menacés. Si ces humains qui migrent prennent tant de risques pour migrer, s’ils sont prêts à prendre le risque de mourir noyés, c’est qu’ils sont véritablement prêts à renaître.

Alors j’ai dessiné une chambre et j’ai sculpté une boule. Mais comme les enfants n’étaient jamais satisfaits, j’ai dû continuer à dessiner des chambres et des chambres, continuer à sculpter des boules et des boules, et les enfants n’étaient toujours pas satisfaits, alors j’ai compris qu’ils étaient des pauvre-de-monde et que j’allais, par mes boules, leur donner le monde. Vous n’allez pas me croire : ils étaient si avides qu’ils sont entrés dans mes dessins, que nous sommes entrés dans mes dessins.

 

TABLEAU 1 
Chambre des enfants. Intérieur nuit.
Décor projeté d’une chambre avec sur les murs, une tapisserie de boules dessinées par Jean-Luc Parant.

Lui
— Tu dors ?

Elle
— Et toi ?

Lui
— Mais non, je ne dors pas, puisque je te parle.

Elle
— Ce Père Noël ne viendra pas pour nous cette année. Mais il viendra l’année prochaine.

Lui
— C’est long, l’année prochaine. Tu crois que ce Père Noël nous ramènera papa et maman ?

Elle
— Je ne sais pas.

 Lui
— Où sommes-nous ?

Elle
— Nous sommes à Marseille, dans une drôle de maison. La fenêtre de la chambre donne sur la mer. Tu as beaucoup dormi, tu as fait des cauchemars.

 Lui
— Je vois rien. 

Elle
— C’est normal il fait nuit.

 Lui
— C’est pas une chambre. Je veux ma chambre à la maison. Demain matin, on nous jettera dehors ?

Elle
— Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que ce n’est pas un lieu pour habiter.

Le Poète
Fermez les yeux, ouvrez grandes vos oreilles.

Elle
— Vous êtes le Père Noël ?

Le Poète
— Je m’appelle Jean-Luc Parant. Plein de personnes réfugiées ont été rejetées par la mer.

Elle
— Vous aussi, vous êtes une personne réfugiée ?

Le Poète
— Comme vous je suis un survivant, j’ai survécu à mon cœur, il s’est arrêté. Après dix-huit jours,  je suis revenu à la vie.

Lui
— Je veux voir papa et maman.

Le Poète
— Fermez les yeux et vous les verrez.

Elle
— Est-ce que c’est vivant, les yeux ?

Le Poète
— Si tu avais des yeux partout sur ton corps,
des pieds à la tête,
tu verrais partout à la fois,
tu verrais le monde de partout à la fois.
Continuez à fermer les yeux, j’ouvre la fenêtre, écoutez, écoutez la musique.

La fenêtre s’ouvre toute seule. On entend des bruits de circulation.

Lui
— Y a pas de musique. Seulement des bruits de voitures, dans la rue qui longe la mer, en bas.

Le Poète
— Les bruits de la route, des camions, des voitures, des machines,
c’est de la musique, un grand musicien le disait.
On dit que c’est des bruits parce qu’on ne les écoute pas,
mais si tu les écoutes, tu entends une musique.

Elle
— Je n’entends que le bruit de mon cœur qui bat tout fort.

Le Poète
— Je ferme la fenêtre. 

La fenêtre se ferme toute seule. Fin des bruits de circulation.

(à Elle) Écoute… tu tournes avec ton cœur tout autour de la Terre,
comme tu te déplaces avec tes pas.
Nous sommes sur une petite planète qui tourne et avance tout autour de son axe,
nous sommes sur des cordes très fines dans un espace infini. 
tu n’es pas d’un pays ou d’un autre,
tu es dans l’univers,
loin.
Où sommes nous ? D’où venons-nous ?
Nous ne le savons pas, nous ne pourrons jamais le savoir.
L’espace  est infini, je vais vous mener au royaume de l’avenir.

Elle
— De l’avenir ?