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La résidence du dragon sans sommeil

Carnet de résidence

Don Datto di Melito

4 Juin 2016

Les cartes maritimes de notre expédition de l’Alycastre ont été rebattues et redistribuées sur le pont de La Marelle. L’atelier de création bat son plein. Je sens le souffle du dragon sur ma nuque. La cuisine est excellente. Quelques vaguelettes sans conséquence. Le Tome I est à la fonte dans le carré des officiers : historiens, linguiste, correcteur. L’île d’obsidienne du premier chant, je l’ai cherché longtemps en vain à la surface de la Méditerranée. Tel un spectre, elle n’était répertoriée sur aucune carte. Je finis par penser que Don Datto di Melito l’avait tout simplement rêvée. Il me donna un indice, son surnom : « l’île qui n’existait pas ». Je cru l’apercevoir dans l’archipel des îles Éoliennes. Je la sentais toute proche. Je brûlais sans la voir. Mes jumelles ne me servaient à rien. Elle était sous la surface de la mer. Je ne le savais pas encore. Depuis mes premières recherches sur l’Alycastre, de nombreuses visions s’étaient révélées progressivement à l’encre sympathique sur mon carnet de bord. Une fois de plus ! L’île avait été engloutie durant l’antiquité. Je viens de vérifier : « cette île qui n’existe pas » existe bel et bien par huit mètres de fond dans les champs Phlégréens du canal de Sicile, au sommet du volcan d’Empédocle. Cap au 37° 06′ Nord, 12° 42′ Est. Nous étarquons la grand voile au vent d’Embat.

Amis lecteurs, je dois vous quitter à nouveau, car un vieux commandeur, un bateleur et son petit aigle blanc s’impatientent de ma prochaine visite sur leur récif enchanté. Après cette découverte, la version 4 a enfin été chapitrée et imprimée hier soir. Elle vient d’être dégagée du plâtre de ses pesantes références historiques avant d’être mise à l’eau. Il y aura sans doute tout de même beaucoup de notes de bas de page pour éclairer le lecteur sur cette saga au long cours qui s’étale depuis le siècle d’Alexandre le Grand jusqu’au XVIe après J. C. Je rappelle à toutes fins utiles que, pour balayer une période aussi immense, les recherches avaient débuté en 2005 à bord du Blanc-Jean, où une première équipe de chasseurs de dragons avait déjà harponné plusieurs centaines de poissons volants pour les verser dans la nasse du projet. Mais avant de relancer une nouvelle campagne de pêche, il nous fallait attendre patiemment que certaines sources avalées dans les réserves de collections très privées rejaillissent enfin à la surface, tels des geysers en mer qui irisent l’horizon de leurs mille gouttelettes arc-en-ciel.

Ce matériel complémentaire doit encore obtenir l’approbation de Don Datto di Melito avant d’imaginer être publié, mais je n’ai désormais plus besoin de harpon. J’écris le texte à haute et intelligible voix. Il faut qu’il sonne comme de la musique pour être lu en public. Je cherche encore la bonne température d’ébullition. Je plonge en apnée depuis l’échelle de coupée pour remonter à la surface quelques étoiles. Une parade aquatique incessante. Ma ligne de vie s’appelle Pascal Jourdana ; un maître-nageur hauturier qui me signale pudiquement l’existence de lames de fonds assassines sans me dire pour autant dans quelle direction je dois nager. Avec Don Datto, franchement ces deux-là, ils font la paire. « Touffu ! » a dit le maître-nageur à la lecture des premiers chants. À moi de corriger le cap au sextant et de continuer d’élaguer le goémon, au sabre d’Or, en épargnant au hasard quelques gerbes d’étincelles rebelles pour échapper au chalutage des bateaux usines de la grande industrie du divertissement. Un spectacle artisanal de sortie de résidence est déjà programmé au cabaret expérimental du Non-Lieu à Marseille le 29 juin prochain. Il s’agira de la lecture à voix haute du Tome I de l’Alycastre. Une représentation publique accompagnée d’une performance musicale : virgules, intermèdes, bourdon interprétés par Médor Mader pour piano arrangé et percussions.

 

Extrait du carnet de bord des « Contes de l’Alycastre » de Dominique Dattola, directeur de la publication, en résidence à la Villa des Auteurs de la Friche de la Belle de Mai Marseille, le 4 juin 2016 - Illustration : carta maritima 1539 du cartographe suédois Olaus Magnus.

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