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Journal de l’auteur, Tarascon

Carnet de résidence

Didier da Silva

7 Octobre 2018

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Travaux de résidences

La gare de Tarascon n’a pas beaucoup changé depuis que j’y ai fait mes "trois jours", il y a un quart de siècle. C’était en effet dans la caserne de cette ville que les jeunes gens de toute la région venaient montrer patte blanche à l’armée française, du temps de la conscription – j’avais choisi l’objection de conscience. Et voilà que vingt-cinq ans plus tard je retourne sur ce quai, sort de la gare, et qu’une marche de dix minutes, passés un abattoir et deux usines, me conduit aux portes du pénitencier, pardon, du centre de détention, CD pour les intimes.

Ce n’est pas qu’entre-temps j’aurai mal tourné, encore que. J’ai seulement publié des livres, ce qui fait de moi, par la force des choses, un écrivain. L’institution m’a reconnu comme tel et comme tel m’a proposé d’étrenner, pour ainsi dire, un dispositif expérimental : une résidence d’auteur en prison. L’idée m’a paru tout de suite aussi incongrue que naturelle. Je venais de consacrer quatre ans à l’écriture d’un roman et c’était comme achever une longue peine (entre la cellule et le bureau de l’écrivain, il y a toujours eu un air de famille). Li Baï et Kleist, les deux héros dudit roman, étaient tous deux passés par la case prison. Tous deux accusés de trahison. Une longue tradition chez les poètes. Je me souvenais qu’à quelques kilomètres de là, près d’une usine dont aux abords de la prison je reconnais comme une hideuse madeleine de Proust l’odeur pestilentielle (le monde fonctionne et il pue un peu), je m’étais fait offrir par mes parents, pour mes quinze ans, le Journal du voleur de Genet. Que depuis j’ai passé mon temps à ne savoir que faire de ma liberté, sinon écrire. Je me disais que l’écriture peut être à la fois la cage et la clef.

Les détenus que je vais fréquenter pendant trois semaines pleines, à raison d’une semaine par mois jusqu’en décembre, n’ont pas encore de nom, mais ils ont déjà des visages. Ce qu’il a fallu de hasards pour que nous nous retrouvions à partager nos expériences de la vie et du temps, et moi ce que je sais de la littérature, pourrait être le point de départ de nos conversations. Récemment, une phrase m’a frappé : à la dernière page de sa Cité de paroles, Stéphane Bouquet écrit : Papoter = la vie même. Ce sera notre début. J’ai aussi décidé que le motif de notre atelier serait les métamorphoses du point de vue ; et de leur lire, entre autres choses, L’Île au trésor de Stevenson intégralement. Pour le reste, c’est l’aventure.

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