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Mardi 11 février

Carnet de résidence

Benoît Virot

19 Avril 2020

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Travaux de résidences

Mardi à l’Université d’Aix. Splendide, quoique un peu déstructurée, géométrie de bâtiments très photogéniques. Jamais je ne m’étais rendu compte que le campus était si proche de la gare Sncf. Le cordon ovale qui enserre la ville se referme d’un coup dans mon esprit comme une coque de noix. Comme souvent l’espace rejaillit sur le temps, du moins ma sensation spatiale sur mon ressenti temporel, et j’ai l’impression d’avoir gâché du temps. À quoi ? À chercher ma route en traversant le centre au plus court.

Bref, à peine le temps de finir mon café sur la route. Au programme, deux promos de L1 et L3 d’un cursus de création littéraire animé par Jean-Marc Quaranta, spécialiste des brouillons d’écrivains (je crois qu’on peut dire comme ça en termes un peu vulgaires) qui me transmettra à la fin de la matinée deux précieux scans : le premier des épreuves de Proust annotées par Paulhan, le second du manuscrit de la Recherche envoyé par Proust lui-même aux éditeurs – il y avait encore des paperoles sur certaines pages.

L’atelier de lecture de manuscrits qui m’amène ici trois fois par an, que je mène partout en France depuis un peu plus de trois ans, est toujours prétexte à échanges féconds avec les élèves ou les étudiants. Je distribue la première et la dernière page de trois manuscrits reçus durant l’année, que j’aime beaucoup, mais dont je n’ai pas toujours scellé le destin éditorial. Action & vérité : l’éditeur qui tend l’oreille pour confronter ses doutes s’en prend souvent "plein la gueule", c’est bon pour l’esprit et la réflexion, pour préparer la réception d’un texte aussi. Parfois aussi, il voit confirmées en des voies inattendues des intuitions qu’il pensait ne jamais pouvoir partager. Il n’est pas rare qu’une assemblée ait influé mon cheminement. Ce jour-là, en éprouvant le besoin de définitions préliminaires au seuil du roman pétrolier ; à Biarritz, il y a un an, découvrant la part réaliste d’un roman dont je n’avais perçu que les reliefs oniriques ; à Aix encore, il y a deux ans, les étudiants martelant l’importance des voix dans l’incipit des Acouphènes

Grand déballage de livres d’occasion sous le préau des "Lettres". Furie de livres, dont, enfin, les Nuits attiques d’Aulu-Gelle, seul maître latin dont j’ai gardé le souvenir tenace depuis ma fréquentation de Sainte-Geneviève… Aulu Gele colligeait en de brèves chroniques d’une page environ les informations remarquables saisie sur les temps anciens au fil de ses lectures (un peu comme Didier da Silva aujourd’hui). Le livre n’est pas coupé, comme d’habitude j’hésite à le faire. Je fragmente donc ma lecture des fragments. Après vingt ans d’attente, il faut être fou ou damné. Après quoi, j’ouvre Jardins et routes, premier volume du journal de Jünger (Strahlungen en allemand) ! Et plus rien n’est pareil. ou plutôt tout reprend, circule de nouveau, redouble de sens. De nouveau je crois saisir des signes et des échos au présent.

Kirchhorst, 3 avril. 
Travaillé pour la première fois dans la nouvelle maison […] aujourd’hui au jardin. La terre y est facile à bêcher, pareil à un sable de lande foncé que strieraient des éclaboussures d’humus…

4 avril.
Mal travaillé, ce que la façon dont j’ai rêvé et dormi laissait prévoir…
À toute prose de qualité le lecteur collabore de lui-même.

La soir, au retour d’Aix, je me trompe de car. Je grimpe dans le 51 au lieu du 50. C’est l’omnibus, qui traverse tout les villages de l’arrière-pays Non seulement c’est magnifique, atterrant de roches, de falaises et de sauvagerie (qui m’eût fait passer aux Pennes-Mirabeau ou à Septèmes-les-Vallons ?). Mais j’ai de temps en temps, entre deux morceaux de RN, le temps de débuter le projet de traduction emirati. Peut-être un jour entreprendrai-je de venir m’acoquiner à la Sainte Victoire en choisissant le bon bus.

Arrivée. Passage à La Drogheria, épicerie associative à la Belle de Mai, commerce où l’on fait les pesées et les comptes soi-même. Gratin dauphinois (une immonde couche de fromage brûlé) et soupe de fenouil et d’endives.

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Benoît Virot
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