Carnets
En fait
En fait, la non-fiction m’emmerde un peu. Enfin, pas lorsque les autres l’écrivent, mais moi je préfère raconter des histoires inventées… Sauf quand je suis rattrapée par mon passé ! En faisant ma valise pour partir à La Marelle début juillet, j’y ai jeté en vitesse plein de petits carnets pour prendre des notes sur la plage et dans les bars à sardines. Or, voilà que certains de ces carnets sont déjà entamés. Il y a, sur quelques pages, des bouts d’histoires oubliées, des fragments autobiographiques périmés, des trucs de l’année dernière aussi bien que des trucs de 2014, voire de 2009. Ce qui est bien, c’est que même si le style m’est familier, j’ai l’impression de lire des choses nouvelles.
CARNET JAUNE, 15 novembre 2009
Hôpital Fernand Widal. Nicolas Granger, lit numéro 8, dort seul dans une chambre très bien rangée, un joli pull en cachemire bleu marine posé sur une chaise. Il exhibe un recueil de photos fétichistes. "Je vais t’en montrer une que j’adore. Regarde-moi ce cul ! Regarde ce dos, ces fesses, comme c’est beau, comme ça, sans la tête !" On sort de la chambre et on croise un autre pensionnaire. Nicolas : "Hélèna, je te présente Monsieur Widal, c’est le directeur de l’hôpital".
CARNET JAUNE, pas de date (sans doute 2009)
Moi : "Alors c’est un rêve que j’ai fait la semaine dernière. J’étais otage lors d’un hold-up à la Banque de France. Mais otage volontaire, je précise. La Banque de France, c’est là où ma mère travaillait en vrai jusqu’à sa mort. Mais dans mon rêve, elle n’y était pas."
Docteur Feinte, rigolant : "Ah bon ? Vous croyez ?"
CARNET JAUNE, 2 novembre 2009
Université Saint-Denis, les étudiants ont de beaux cheveux. Ils ont sorti des grandes feuilles de papier et écrivent en lettres capitales : « LE SON ». Des filles se sont assises devant, tout près du professeur. Les étudiants ont presque tous de beaux cheveux, mais très peu sont bien coiffés. Quand on leur fait écouter un long morceau intitulé "Lever du jour sur la montagne sacrée du Mont Emei", ils perdent vite leur concentration et parlent entre eux. Les étudiants (je l’ai déjà remarqué avec Georges) ne savent pas chuchoter. Akio Suzuki a construit un mur qui réverbère les sons de la vallée, pour lui et pour ses visiteurs. Un étudiant, à propos du prof : "Il est sympa, mais sa pierre qui tourne, je connaissais déjà". Un autre : "Moi aussi, je l’ai même utilisée dans un travail". Comment fait-on pour mesurer la vitesse du son ? Des boulets de canon furent tirés la nuit dans les égouts de Paris. Dans l’eau, le son est plus rapide. On n’entend pas dans le vide. La matière ne se déplace pas, c’est une perturbation. Comment donner à voir le son, ce phénomène invisible ? Par une métaphore. Une onde sur la surface de l’eau. À partir des années soixante, on fait intervenir dans les villes un bruit de fond, "la rumeur des villes". Quand on ne l’entend pas, ça crée un effet (penser à dire à Emmanuel : "ça marche mieux quand tu dis aux étudiants ce qu’il faut chercher à écouter AVANT d’envoyer ton extrait sonore").
CARNET JAUNE, octobre 2009
Valérie A. me parle d’une secte en Israël dont tous les membres sont heureux. Ce sont souvent d’anciens alcooliques, toxicomanes et night-clubbers, qui sont aujourd’hui vêtus de blanc et portent une sorte de capuche pointue. "Des schtroumpfs blancs", remarquai-je et Valérie approuve. Tous les soirs, à la fin d’une journée qui n’a pas forcément été facile car certains membres de cette secte sont très pauvres, ils se couchent et sourient en se disant : "J’ai raison". Ce qui est amusant, poursuit Valérie c’est que les autres, les Davidoff, ceux qui sont tout en noir, se couchent certainement avec la même certitude. Je demande à Valérie : "Et toi, est-ce que tu penses aussi que tu as raison ?". "Bien sûr ! Pas toi ?" Je réponds tristement : "Non, pas en ce moment. Mais j’aimerais bien que ça revienne."