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© Laurence Vilaine

Alger 3 | Allez, Mouloud…

Carnet de résidence

Laurence Vilaine

7 Novembre 2014

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Travaux de résidences

— J’ai besoin de vivre d’amour toute ma vie, dit Yasmine.

Et sur Didouche *, je rentre chez Mouloud.
Il me faudrait monter à l’échelle, déplacer les montagnes de revues et plusieurs semaines entières. Mais Mouloud est là, qui a tout le stock dans la tête.

— Vous ne trouverez pas ce livre-là, ni ici ni ailleurs… De toute façon, aujourd’hui, à Alger, vous ne trouverez que des pizzas…

Le petit Mouloud file un coton de nostalgie, qui regrette de ne pas avoir suivi la dame de Nice.

— Le premier matin, elle m’a offert un croissant et un café au lait. Le deuxième, elle m’a payé 3500 francs – les anciens francs, vous savez –, 350 en avance pour ma semaine. Et le troisième jour, vous savez ce qu’elle m’a donné ? La clé de sa boutique et sa confiance… J’avais douze ans.

Ça brille dans les yeux de Mouloud. Et ça fait soixante-quatre ans que ça doit briller chaque fois qu’il raconte. Il en a appris, il en a vu derrière ses montagnes de revues, il en a vu passer des grands, des Kateb Yacine, des Georges Arnaud et Camus – "il appelait ma mère maman, et après le couscous du dimanche, on allait au stade ou au cinéma…" En 1962, la dame est partie à Nice. L’indépendance, il dit que c’était l’Eldorado dans sa tête, et qu’il n’a pas voulu quitter son nouveau pays. Et dans les yeux, le regret.

Mouloud2

— Non, le livre que vous cherchez, vous le trouverez pas à Alger. Vous savez, maintenant, les Algériens, ils lisent pas, ni en arabe, ni en français…

Oui, oui, Mouloud, et aussi ils mangent des pizzas… Je le quitte avec de la tristesse dans mes pas. Et je pense à Yasmine.
C’est vrai, sûrement, si tu le dis Mouloud, qu’il n’y a plus les lumières toute la nuit dans la rue comme "au temps des Français", que c’est plus les mêmes boutiques, que la rue Michelet c’était autre chose que la rue Didouche aujourd’hui… Mais faut lui dire à Mouloud, qu’il y a quand même des Algériens qui lisent, ils sont en ce moment des milliers au Salon du livre d’Alger, avec des livres sous le bras… Bien sûr, Mouloud, la nostalgie, oui, le cinéma, tout ça, la 403… Oui, mais Yasmine ? Yasmine, jolie Yasmine, va lui dire à Mouloud, que c’est toi qui veux lire ce livre-là.

*

Mouloud ?
J’ai trouvé Hiroshima mon amour pour Yasmine. Tu sais ce qu’elle m’a dit ?

— Je repousse le moment de commencer à le lire, parce que je ne veux pas le finir…

Tu vois, t’as pas le droit de baisser les bras. Pour Yasmine et les autres, tiens bon Mouloud et crois en eux. Raconte leur tes remords si tu veux, mais aussi la littérature, et écoute leur soif à eux de lendemains heureux.

Yasmine

"Depuis toujours. Je me doutais bien qu’un jour tu me tomberais dessus. Je t’attendais dans une impatience sans borne, calme. Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu’aucun autre, après toi, ne comprenne plus du tout le pourquoi de tant de désir."

Marguerite Duras, pour Yasmine.

 

 * rue Didouche-Mourad (ex-rue Michelet, qu’ils disent)

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